Le Voyage et le Châtiment à L’Auberge

LE lendemain matin, toute la Cour s’était rassemblée dans la Grande Salle pour assister au départ du Prince, et toute la Cour, y compris le Roi et la Reine, pleins de gratitude, se tenait les yeux baissés, le buste incliné, tandis que le Prince descendait l’escalier, la Belle marchant nue derrière lui. Il lui avait ordonné de tenir les mains croisées derrière sa nuque, sous la chevelure, et de se placer légèrement à sa droite, afin qu’il pût l’entrevoir du coin de l’œil. Et elle obéit, ses pieds nus ne faisant pas le moindre bruit sur la pierre usée des marches, tandis qu’elle le suivait.
— Cher Prince, s’écria la Reine, quand il parvint à la grande porte du château et qu’il vit ses soldats qui se tenaient là, à cheval, sur le pont-levis, nous sommes vos débiteurs éternels, mais elle est notre fille unique.
Le Prince se retourna vers elle. Elle était encore belle, quoique deux fois plus âgée que la Belle, et il se demanda si elle avait servi, elle aussi, son arrière-grand-père.
— Comment pouvez-vous douter de moi ? s’enquit patiemment le Prince. J’ai restauré votre Royaume, et vous savez fort bien, si vous gardez quelque peu en mémoire les coutumes de mon pays, que la Belle, en servant au château, se trouvera grandement mise en valeur.
C’est alors qu’une rougeur éloquente empourpra le visage de la Reine, comme hier celui du Roi, et elle inclina la tête en signe d’acquiescement.
— Mais je suis assurée que vous voudrez permettre à la Belle de se vêtir, murmura-t-elle, au moins jusqu’à ce qu’elle atteigne la frontière de votre Royaume.
— Tous ces bourgs que nous traverserons d’ici à mon Royaume nous ont prêté allégeance pour un siècle. Et, dans chacun d’eux, je proclamerai votre restauration et vos nouvelles possessions. Que pouvez-vous demander de plus ? Le printemps est déjà chaud ; la Belle ne souffrira nullement de se mettre à mon service.
— Pardonnez-nous, Votre Altesse, fit le Roi avec empressement. Mais rien n’a-t-il changé en cette époque ? La servitude de la Belle ne durera pas éternellement ?
— Il en va de même aujourd’hui que jadis. La Belle sera de retour en temps et en heure. Et sa beauté, sa sagesse s’en trouveront grandement rehaussées. Maintenant, dites-lui d’obéir, tout comme vos parents vous ont ordonné d’obéir quand vous nous avez été envoyés.
— Le Prince dit la vérité, Belle, reprit le Roi à voix basse, en évitant toujours de poser le regard sur sa fille. Obéissez-lui. Obéissez à la Reine. Et quand bien même vous jugeriez votre servitude déroutante et quelquefois malaisée, ayez confiance, vous nous reviendrez, ainsi qu’il l’a dit, grandement changée, et en mieux.
Le Prince sourit.
Sur le pont-levis, les chevaux piaffaient La monture du Prince, un étalon noir, était particulièrement ardue à maîtriser, aussi le Prince, leur faisant à tous une nouvelle fois ses adieux, se retourna-t-il et souleva-t-il la Belle de terre.
Il la hissa avec aisance sur son épaule droite, les chevilles calées contre sa hanche, et, tandis qu’elle retombait sur son dos, il l’entendit sangloter doucement. Juste avant qu’elle ne monte sur l’étalon, il vit ses longs cheveux balayer le sol.
Tous les hommes d’armes prirent place à sa suite.
Il chevaucha à travers bois.
Le soleil dardait ses rayons de gloire à travers le lourd feuillage d’émeraude, le ciel bleu et brillant se dissolvait en un dégradé de lumière verdâtre tandis que le Prince chevauchait à la tête de ses hommes d’armes, fredonnant pour lui-même, et chantonnant de temps à autre.
Le corps chaud et souple de la Belle se balançait lentement sur son épaule. Il la sentait trembler, et comprenait son agitation. Ses fesses nues étaient toujours rouges de la fessée qu’il lui avait administrée, et il imaginait aisément la vision appétissante qu’elle offrait aux hommes de sa suite.
Tout en menant sa monture dans une clairière dense où les feuilles tombées des arbres leur faisaient un épais tapis rouge et brun, le Prince noua ses rênes au pommeau de sa selle, tâta de la main gauche la douce petite toison velue entre les jambes de la Belle, et inclina son visage contre sa hanche tiède, la baisant avec délicatesse.
Après un petit temps, il la fit glisser sur ses genoux, comme la veille, en la retournant, de sorte qu’elle reposait contre son bras gauche ; il embrassa sa figure rougie et la libéra des longues mèches d’or de sa chevelure, puis il lui suça les seins presque avec nonchalance, comme s’il les buvait à petites gorgées.
— Posez votre tête sur mon épaule, fit-il.
Et sur-le-champ elle s’inclina, obéissante.
Mais lorsqu’il voulut la replacer sur son épaule, une plainte de désespoir lui échappa. Il ne se laissa pas arrêter pour si peu. Et, la tenant fermement en place, les chevilles calées contre sa hanche, il la réprimanda amoureusement, et lui administra plusieurs fessées bien rudes de la main gauche, jusqu’à l’entendre fondre en larmes.
— Jamais vous ne devez protester, lui répéta-t-il. Ni en paroles, ni par gestes. Seules vos larmes peuvent montrer à votre Prince ce que vous ressentez, et ne pensez jamais qu’il ne veuille rien en savoir. Maintenant, répondez-moi respectueusement.
— Oui, mon Prince, gémit doucement la Belle. Il frissonna de l’entendre.
À leur entrée dans le petit bourg au cœur de la forêt, il y eut grand émoi, car tout le monde avait déjà appris la nouvelle : le maléfice avait été rompu.
Et tandis que le Prince conduisait sa monture par les petites rues tortueuses, leurs hautes maisons à colombage obstruant le ciel, la populace se pressait aux étroites fenêtres et sur les pas des portes. On se massait dans les ruelles pavées.
Derrière lui, le Prince entendit ses hommes expliquer à mi-voix aux habitants du bourg qui il était, et que leur Seigneur avait rompu le maléfice. La jeune fille qu’il portait était la Belle au bois dormant.
La Belle sanglotait doucement, son corps se défendait contre ces sanglots, mais le Prince la maintenait avec fermeté.
Enfin, suivi d’une foule importante, il arriva à l’auberge, et sa monture, les sabots heurtant lourdement le sol, pénétra dans la cour.
Son page l’aida prestement à descendre de cheval.
— Nous ne nous arrêterons que pour boire et manger, décida le Prince. Nous pouvons encore progresser de plusieurs lieues avant le coucher du soleil.
Il déposa la Belle à terre et admira ses cheveux qui cascadaient autour d’elle. Puis il la contourna à deux reprises, ravi de la voir les mains noués derrière la nuque et les yeux baissés tandis qu’il la considérait.
Il l’embrassa avec dévotion.
— Voyez-vous comment ils vous regardent tous ? Sentez-vous comme ils admirent votre beauté ? Ils sont en adoration devant vous.
Et il lui entrouvrit à nouveau les lèvres pour y sucer un autre baiser, sa main pressant les fesses endolories.
Il eut l’impression que ses lèvres se vissaient aux siennes, comme si elle avait peur de le laisser partir, puis il lui baisa les paupières.
— À présent, tout le monde veut jeter un œil sur la Belle, annonça le Prince au Capitaine de sa garde. Liez-lui les mains au-dessus de la tête avec une corde, et attachez-la à l’enseigne qui surplombe la porte de l’auberge, que ces gens se rassasient du spectacle. Mais que personne ne la touche. Ils peuvent regarder tout leur soûl, mais vous montez la garde, que personne ne la touche. Je veillerai à ce que l’on vous apporte de quoi manger.
— Bien mon Seigneur, fit le Capitaine des Gardes.
Mais comme le Prince lui confiait aimablement la Belle, elle se pencha en avant, les lèvres tendues pour le Prince, et il reçut son baiser avec reconnaissance.
— Vous êtes très douce, ma chérie, reconnut-il. Allons, soyez modeste et très, très bonne. Je serais fort désappointé que toute cette adulation inspire de la vanité à ma Belle.
Il l’embrassa de nouveau et laissa le Capitaine s’occuper d’elle.
Après quoi, une fois entré dans l’auberge et commandé son repas et sa bière, le Prince observa la scène par les fenêtres aux vitres en forme de losange.
Le Capitaine des Gardes n’osa pas toucher la Belle, sauf pour lui passer la corde autour des poignets. Et c’est en la tenant au bout de cette corde qu’il la conduisit à la porte ouverte de la cour. Là, il lança la corde par-dessus la tige de métal à laquelle était accrochée la plaque d’enseigne de l’auberge, et lui assujettit promptement les mains au-dessus de la tête, ce qui la dressa presque sur la pointe des pieds.
Ensuite, il fit reculer la foule, et se tint posté contre le mur, les bras croisés, tandis qu’on se pressait pour la voir.
Il y avait là des femmes aux formes généreuses, aux tabliers tachés, des rustauds en hauts-de-chausses et lourds souliers de cuir, et les jeunes nantis du bourg, dans leurs capes de velours, mains sur la taille, qui observaient la Belle à distance, répugnant à jouer des coudes dans la foule. Il y avait aussi plusieurs jeunes femmes, leur coiffe blanche tuyautée de frais, qui étaient sorties en relevant soigneusement leur jupon, et qui la dévisageaient.
Au début, tout ce monde n’avait fait que chuchoter, mais à présent on se mettait à parler plus librement.
La Belle avait enfoui la tête au creux de son bras et laissé ses cheveux offrir un écran à son visage, mais un soldat, envoyé par le Prince, s’approcha et annonça :
— Son Altesse souhaite qu’on lui tourne la tête et qu’on lui lève le menton de manière que chacun puisse mieux la voir.
Un murmure d’approbation s’éleva de la foule.
— Très, très jolie, fit l’un des jeunes hommes.
— Et voilà pourquoi tant d’hommes sont morts, prononça un vieux Savetier.
Le Capitaine des Gardes leva le menton de la Belle, et, tout en maintenant la corde au-dessus d’elle, lui dit doucement :
— Princesse, il faut que vous vous tourniez.
— Oh, je vous en supplie, Capitaine, chuchota-t-elle.
— Ne faites pas un bruit, Princesse, je vous en conjure. Notre Seigneur est très strict, rappela-t-il. Et il souhaite que chacun vous admire.
La Belle, les joues en feu, obéit, se tourna pour que la foule pût voir ses fesses rougies, et se tourna encore pour montrer ses seins et son sexe, tandis que le Capitaine lui maintenait le menton d’un index léger.
Elle parut respirer profondément, comme pour s’imposer le plus grand calme. Les jeunes hommes déclarèrent qu’ils la trouvaient belle et jugèrent ses seins magnifiques.
— Mais des fesses pareilles ! lâcha, dans un souffle, une vieille femme qui se trouvait à côté d’eux. On voit bien qu’elle a été fessée. Ça m’étonnerait que la pauvre Princesse ait fait quoi que ce soit pour mériter ça.
— Pas grand-chose, en effet, confirma un jeune homme à côté d’elle. À ceci près qu’elle a les fesses les plus belles et les plus insolentes qui se peuvent imaginer.
La Belle tremblait.
Finalement, le Prince en personne parut, prêt au départ, et, voyant la foule toujours aussi captivée, il fit lui-même descendre la corde, la tenant comme une courte laisse au-dessus de la tête de la Belle, et il la fit se tourner. Il eut l’air amusé par les hochements de tête reconnaissants de la foule, et par les remerciements et les nuques qui se courbèrent à son adresse ; il fut d’une magnanimité toute empreinte de grâce.
— Levez le menton, la Belle, je ne devrais pas avoir à le lever moi-même, la réprimanda-t-il avec un petit froncement délibéré des sourcils, en signe de déception.
La Belle obéit, le visage si rouge que ses sourcils et ses cils prirent une lueur dorée dans le soleil, et le Prince lui donna un baiser.
— Approche, vieil homme, ordonna le Prince au vieux Savetier. As-tu jamais vu pareille beauté ?
— Non, Votre Altesse, admit le vieil homme.
Ses manches étaient roulées jusqu’aux coudes, et ses jambes légèrement arquées. Ses cheveux étaient gris, mais il y avait dans ses yeux verts une lueur de plaisir presque nostalgique.
— C’est vraiment une magnifique Princesse, Votre Altesse, qui vaut bien toutes les morts de ceux qui ont essayé de s’en emparer.
— Oui, je le suppose, et qui vaut bien toute la bravoure du Prince qui s’est emparé d’elle, ajouta le Prince avec un sourire.
Tout le monde rit poliment. Mais ils ne pouvaient celer la crainte qu’il leur inspirait. Ils fixaient son armure du regard, son épée, et surtout son visage si jeune et ses cheveux de jais qui tombaient sur ses épaules.
Le Prince attira le Savetier plus près de lui.
— Tiens. Si tu le veux, je te donne la permission de tâter ses trésors.
Le vieil homme adressa au Prince un sourire de gratitude, et presque d’innocence. Il tendit la main, et, après un instant d’hésitation, toucha les seins de la Belle. La Belle frissonna, et tenta visiblement de réprimer un petit cri.
Le vieil homme lui toucha le sexe.
Puis le Prince tira sur sa courte laisse, pour la faire se lever sur la pointe des pieds ; son corps se raidit et n’en parut que plus ferme et plus charmant, les seins et les fesses dressés, les muscles des mollets bandés, le menton et la gorge dessinant une ligne parfaite jusqu’à la poitrine oscillante.
— Ce sera tout. À présent, il convient que vous partiez tous, ordonna le Prince.
Obéissants, ils s’éloignèrent à reculons, en continuant de jouir du spectacle, tandis que le Prince enfourchait son cheval, puis, enjoignant à la Belle de croiser les mains derrière la nuque, il lui donna l’ordre de le précéder.
La Belle ouvrit la marche pour quitter la cour de l’auberge, le Prince la suivant au pas de son cheval.
Les habitants du bourg s’écartèrent pour lui ouvrir le passage. Ils ne pouvaient détacher leur regard de ce beau corps vulnérable, et ils se pressèrent en longeant les murs des étroites ruelles pour suivre le spectacle jusqu’à la lisière de la forêt.
Lorsqu’ils eurent laissé le bourg derrière eux, le Prince demanda à la Belle de venir à lui. Il la prit dans ses bras et l’assit à nouveau devant lui, l’embrassa encore, et la gourmanda :
— Vous avez eu l’air de trouver cela si difficile, fit-il en fredonnant. Pourquoi vous être montrée si fière ? Avez-vous une trop haute idée de vous-même pour consentir que l’on vous montre au peuple ?
— Je suis désolée, mon Prince, murmura-t-elle.
— Ne voyez-vous pas que si vous ne songez qu’à me complaire et à faire plaisir à ceux auxquels je vous montre, tout ira simplement pour vous ? (Il lui embrassa l’oreille, en la tenant fermement contre sa poitrine.) Vous auriez dû vous montrer fière de vos seins et de vos hanches galbées. Vous auriez dû vous poser la question : « Est-ce que je fais plaisir à mon Prince ? Le peuple me trouve-t-il plaisante ? »
— Oui, mon Prince, fit la Belle avec humilité.
— Vous êtes mienne, Belle, ajouta le Prince un peu plus sévèrement. Et il n’est point d’ordre auquel vous deviez jamais obéir avec répugnance. Si je vous enjoins de complaire à celui de mes vassaux qui occupe le rang le plus bas de protocole, vous devez vous astreindre à m’obéir au doigt et à l’œil. Il sera votre Seigneur parce que j’en aurai décidé ainsi. Tous ceux à qui je vous offre sont vos Seigneurs.
— Oui, mon Prince, acquiesça-t-elle, mais grande était son affliction.
Il lui caressa les seins, en les pinçant avec fermeté de temps à autre, et il l’embrassa jusqu’à sentir le corps de la Belle se débattre contre lui, et ses tétons durcir. Elle semblait vouloir lui dire quelque chose.
— Qu’y a-t-il, Belle ?
— Vous complaire, mon Prince, vous complaire…, chuchota-t-elle, comme si ses pensées versaient dans un délire.
— Oui, me complaire, telle est votre vie, à présent Combien sont-ils dans le monde, à connaître une telle clarté, une telle simplicité ? Faites plaisir, et je vous dirai toujours exactement comment vous y prendre.
— Oui, mon Prince, soupira-t-elle. Mais elle pleurait à nouveau.
— À cette fin, je prendrai le plus grand soin de vous. La jeune fille que j’ai découverte dans la chambre du château ne m’était rien, au regard de ce que vous êtes pour moi désormais, ma Princesse dévouée.
Mais le Prince n’était pas totalement satisfait de la manière dont il instruisait la Belle. Il lui dit qu’à leur arrivée dans la prochaine ville, à la tombée de la nuit, il lui arracherait encore un peu de sa dignité, afin de lui rendre les choses plus faciles.
Et, alors que les habitants de la ville pressaient leur visage contre les vitres plombées des fenêtres de l’auberge, le Prince se faisait servir à table par la Princesse.
Elle s’affairait à quatre pattes sur le parquet grossier de l’auberge pour lui apporter son plat de la cuisine. Et bien qu’elle eût la permission de le remporter en marchant, c’est à quatre pattes de nouveau qu’elle lui apportait la cruche. Les soldats dévorèrent leur dîner, en lui lançant des œillades silencieuses à la lueur de l’âtre.
Elle nettoya la table pour le Prince et quand un morceau de nourriture sauta du plat sur le sol, il ordonna à la Belle de le manger. Les larmes aux yeux, la Belle obéit, puis il la prit dans ses bras, toujours agenouillée, et la récompensa d’une dizaine de baisers amoureux et humides. Docile, elle lui passa les bras autour du cou.
Mais ce petit morceau de nourriture qui était tombé lui avait donné une idée. Il lui ordonna d’aller en vitesse à la cuisine chercher un autre plat, puis il lui demanda de le poser à ses pieds.
Il disposa un peu de la nourriture contenue dans ce plat par terre devant elle, et il lui enjoignit de relever sa lourde chevelure, de la rejeter dans son dos pour ne manger qu’avec sa bouche.
— Vous êtes mon chaton, rit-il gaiement. Et si vous n’étiez si belle je vous interdirais toutes ces larmes. Voulez-vous me complaire ?
— Oui, mon Prince.
Du bout du pied, il repoussa le plat à distance de plusieurs pas et lui demanda, tout en continuant son repas, de lui présenter son derrière. Il admira, constatant que les marques rouges de la fessée avaient presque guéri. Du bout de sa botte de cuir, il agaça la toison de soie qu’il devinait entre les jambes, perçut la moiteur des lèvres gonflées sous la toison, et soupira, songeant qu’elle était si belle.
Quand elle eut fini son repas, du bout des lèvres, elle repoussa le plat vers sa chaise, ainsi qu’il le lui avait ordonné, puis il lui essuya la bouche et lui fit boire un peu de vin dans sa coupe.
Il contempla sa gorge profonde qui oscillait, et baisa ses paupières.
— À présent, écoutez-moi, je veux que vous tiriez la leçon de tout ceci. Chacun ici peut vous voir, voir tous vos charmes, vous en êtes consciente. Mais je veux que vous en preniez fortement conscience. Derrière vous, les gens de cette ville massés aux fenêtres vous admirent, comme ils vous ont admirée lorsque je vous ai fait traverser leur bourg. Voilà qui devrait vous rendre fière, mais sans vanité, fière, fière de m’avoir complu, et d’avoir aimanté leur admiration.
— Oui, mon Prince, ponctua-t-elle lorsqu’il se tut.
— Alors songez que vous êtes toute nue et sans défense, et complètement mienne.
— Oui, mon Prince, sanglota-t-elle doucement.
— Telle est votre vie, à présent, et vous ne devez songer à rien d’autre, et ne rien regretter. Je veux que vous vous défassiez de votre dignité comme l’on pèle les peaux d’un oignon. Je n’entends pas que vous conserviez éternellement votre gaucherie. Je veux dire que vous devez vous soumettre à ma volonté.
— Oui, mon Prince.
Le Prince leva le regard sur l’aubergiste qui se tenait à la porte de la cuisine avec sa femme et sa fille. Ils s’en avisèrent aussitôt. Mais le Prince n’avait d’yeux que pour la fille. C’était une jeune femme, très jolie à sa manière, quoique nullement comparable à la Belle. Elle avait des cheveux noirs et des joues rondes, une taille très fine, et elle était vêtue à la manière des paysannes, d’un léger chemisier à jabot, et d’une jupe courte et large qui laissait voir de ravissantes petites chevilles. Elle avait un visage innocent. Elle regardait la Belle avec étonnement, ses grands yeux bruns se tournaient avec inquiétude vers le Prince pour revenir ensuite timidement à la Belle agenouillée à ses pieds, dans la lumière de la cheminée.
— Donc, ainsi que je vous l’ai dit, reprit doucement le Prince, tous ici vous admirent, et ils vous goûtent, ils goûtent ce spectacle, votre petit derrière rond, vos jolies jambes, ces seins que moi-même je ne puis m’empêcher de baiser. Mais il n’est personne ici, pas même le plus humble, qui ne vaille mieux que vous, ma Princesse, si je vous ordonne de le servir.
La Belle était terrifiée. Elle hocha la tête vivement en lui répondant « Oui, mon Prince », puis elle s’inclina et baisa impulsivement la botte du Prince, mais ensuite elle parut terrorisée.
— Allons, voilà qui est très bien, ma chérie, la rassura le Prince, en lui caressant la nuque. C’est très bien. S’il est un geste que je vous autorise pour donner libre cours à votre cœur, sans que l’on vous en prie, c’est bien celui-là. Vous pouvez toujours, de votre propre chef, me témoigner ainsi votre respect.
De nouveau, la Belle pressa ses lèvres contre le cuir. Mais elle tremblait.
— Ces gens ont faim de vous, faim plus encore de votre beauté, continua le Prince. Et je crois qu’ils méritent d’en goûter un peu, ce qui les ravira.
Derechef, la Belle baisa la botte du Prince, et laissa ses lèvres y reposer.
— Oh, ne croyez pas que je vais les laisser réellement se remplir de vos charmes. Oh non, fit le Prince, songeur. Mais je vais user de cette occasion à la fois pour récompenser leur attention dévouée et vous apprendre que votre châtiment viendra chaque fois que je désirerai vous le donner. Vous n’avez pas besoin de désobéir pour le mériter. Je vous punirai quand il me plaira. Quelquefois, tel sera le seul motif de la punition.
La Belle ne put s’empêcher de geindre.
Le Prince sourit et fit signe à la fille de l’aubergiste. Mais celle-ci avait si peur de lui qu’elle ne s’avança pas tant que son père ne l’y eut pas poussée.
— Ma chère, lui dit le Prince avec courtoisie. Dans la cuisine, avez-vous cet instrument plat, en bois, avec lequel vous enfournez les poêlons chauds ?
Un mouvement diffus traversa la salle tandis que les soldats s’échangeaient des regards. Les gens au-dehors se pressèrent un peu plus contre les fenêtres. La jeune fille hocha la tête affirmativement et s’en revint bien vite avec une palette de bois, très plate et polie par des années d’usage, avec un fort manche.
— Excellent, s’exclama le Prince. Mais la Belle pleurait de désespoir.
Le Prince ordonna à la fille de l’aubergiste de s’asseoir sur le rebord de la haute cheminée, de la hauteur d’une chaise, et dit à la Belle, toujours à quatre pattes, de s’approcher d’elle.
— Ma chère, fit-il en s’adressant à la fille de l’aubergiste, ces bonnes gens méritent un petit spectacle. Leur vie est dure et dénuée de tout Mes hommes le méritent tout autant Et ma Princesse peut faire bon usage de ce châtiment.
La Belle s’agenouilla en larmes devant la jeune fille qui, considérant ce qu’elle avait à faire, était fascinée.
— Sur ses genoux, la Belle, ordonna le Prince, mains derrière la nuque, et relevez votre belle chevelure pour laisser la voie libre. Immédiatement ! dit-il, presque coupant.
Fouettée par sa voix, la Belle se précipita pour obéir, et tous ceux qui se trouvaient là virent son visage souillé de larmes.
— Tenez votre menton relevé comme cela, oui, parfait. Maintenant, ma chère, fit le Prince, en regardant la jeune fille qui tenait la Belle sur ses genoux, la palette de bois dans l’autre main, je veux voir si vous saurez la manier avec autant de rudesse qu’un homme. Croyez-vous en être capable ?
Il ne put réprimer un sourire devant le ravissement de la jeune fille et son désir de plaire. Elle hocha la tête en murmurant une réponse pleine de respect, et lorsqu’il lui en donna l’ordre, elle fit retomber brutalement la palette sur les fesses nues de la Belle. La Belle ne put demeurer impassible. Elle s’efforça de se tenir tranquille, mais elle n’y parvint pas, et finalement elle ne put contenir ses geignements et ses gémissements.
La fille de la taverne la fessait sans cesse plus fort, et le Prince était aux anges, savourant la chose bien plus que la fessée qu’il avait lui-même donnée à la Belle.
C’est qu’il voyait bien mieux comme cela, il voyait mieux les seins de la Belle se soulever, et les larmes baigner son visage, et ses petites fesses se contraindre à l’immobilité comme si, en ne bougeant pas, la Belle avait pu, en un sens, échapper aux rudes coups de la jeune fille, ou les esquiver.
Enfin, lorsque son derrière fut très rouge, sans être zébré, il demanda à la jeune fille de cesser.
Il vit ses soldats captivés, de même que tous les gens du bourg, alors il claqua des doigts et dit à la Belle de venir à lui.
— À présent, mangez tous votre dîner, bavardez, faites ce que bon vous semble, fit-il vivement.
L’espace d’un instant, personne ne lui obéit Puis les soldats se tournèrent les uns vers les autres, et les gens, au-dehors, voyant que la Belle reprenait sa posture à genoux aux pieds du Prince, ses cheveux voilant son visage écarlate, ses fesses à vif et cuisantes blotties contre ses chevilles, se mirent, aux fenêtres, à murmurer et à se parler.
Le Prince servit à la Belle un autre verre de vin. Il n’était pas certain d’être tout à fait content d’elle. Il songeait à quantité de choses.
Il appela la fille de l’aubergiste près de lui et lui annonça qu’elle avait été parfaite, lui donna une petite pièce et lui prit la palette qui lui avait servi de battoir.
À la fin, il fut temps de monter se coucher. Et poussant la Belle devant lui, il lui donna quelques gentilles petites tapes sèches pour lui faire monter les marches plus vite jusqu’à leur chambre.